Wrath James White – Prey Drive (2013, Sinister Grin Press)
L’horreur graphique est un cas éternellement à part dans le paysage créatif. En effet, elle divise la plupart du temps: d’un côté, il y a ceux qui la trouvent trop marquée, trop choquante ou tombant dans le ridicule ou le grand-guignol. De l’autre, il existe de fervents admirateurs des pires atrocités, qu’elles soient cinématographiques (les films gore), littéraire (les romans fantastiques) ou picturale (les corps humains exposés du Professeur Gunther Von Hagens). Trouver un réel équilibre entre ces deux partis reste très difficile; de même, montrer sans véritable but demeure totalement inutile, même si cela ne doit pas forcément être une forme de dénonciation mais, le plus souvent, l’illustration physique d’un trouble mental. Ce que l’écrivain américain Wrath James White a parfaitement compris avec ce roman, Prey Drive (la suite de Succulent Prey), qui marquera pourtant mêmes les esprits les plus endurants.
Joseph Miles est un prisonnier indéfinissable. Arrêté pour avoir tué puis mangé (ou parfois l’inverse) les corps de plusieurs victimes, il purge une peine de prison dans un quartier de haute sécurité. Mais il se croit malade, objet d’un virus qui lui a été transmis génétiquement et contre lequel il ne peut lutter. Pour y échapper, il lui faut savoir, comprendre. Il doit sortir du lieu où il est enfermé. Et avant tout, se battre pour survivre; contre la cruauté des gardiens, la gloire des co-détenus pensant gagner un semblant de célébrité en le tuant, et une femme qui l’admire et souhaite plus que tout être contaminée. Mais il lui est surtout nécessaire de contenir le monstre cannibale et sexuel qui sommeille en lui, cette créature incontrôlable que l’excitation de la chair et du sang réveille dès que l’occasion se présente. Malédiction ou folie?
Prey Drive va très loin dans la répulsion. Les instincts cruels de Joseph Miles, ainsi que ses actes, sont décrits de manière détaillée et demandent au lecteur d’avoir le coeur bien accroché, tellement ceux-ci sont horribles et sanglants. Rien n’est oublié, des organes vitaux aux viscères, des muscles tailladés aux gorges arrachées, dans un réalisme destructeur et saisissant. L’érotisme devient bestial, la jouissance ne trouvant d’issue que dans l’excès, les fluides corporels se mêlant à l’hémoglobine pour fournir un assaisonnement abominable des plats anthropophages que concocte le tueur en série (chaque partie du roman est d’ailleurs introduite par une recette de cuisine dont l’ingrédient principal est alors facile à deviner). Mais Wrath James White ne sombre jamais dans la vulgarité; il expose des faits au travers d’une intrigue captivante et rebutante, à laquelle il est impossible de rester insensible. On reste fasciné par ces explosions primitives de colère froide et calculatrice, cette débauche de fureur qui retourne l’estomac à chaque page.
Mais au-delà d’un si terrible pragmatisme, l’auteur nous évoque avant tout, au travers de ses protagonistes, les penchants les plus pervers et sombres de l’âme humaine. Entre l’innocence de Cindy Addison, la monstruosité de Joseph Miles, l’intérêt morbide de Selene et le milieu fermé et cruel de l’univers carcéral, Wrath James White expose des thèmes aussi durs à voir et lire que la conviction, la crainte et la fascination. C’est ce qui fait la force du livre: loin de n’être qu’un étal de boucher, il prend littéralement aux tripes parce qu’il nous confronte à nos pensées les plus noires ansi qu’à nos peurs primales. On n’est pas étonné par ce que l’on imagine; on le rejette tout d’abord, puis on pénètre dans un maelström vicieux et immoral qui n’est pas tant éloigné de notre quotidien, de ce que l’on voit à la télévision, de ces hommes parmi lesquels chacun de nous existe sans se douter de ce qui se cache derrière le masque. Lire Prey Drive, c’est appréhender pour mieux comprendre. C’est voir le pire pour le contrôler, aussi bien en soi que devant l’autre. A ce titre, la fiction est un exutoire perturbant la réalité, mais qui peut sembler nécessaire pour évacuer toute cette colère à laquelle nous sommes confrontés chaque jour.
Terrifiant et aussi frappant qu’un coup de poing en plein ventre, Prey Drive est éprouvant mais exquis. Les lecteurs bercés au mommy porn dfaçon 50 Nuances de Grey sont décidément loin du compte.
Raphaël DUPREZ
http://sinistergrinpress.com/authors/wrath-james-white/
http://www.wordsofwrath.blogspot.fr/
Graphic horror is an everlasting world apart from every creative industry. Thus, it is always dividing people, year after year. On the left side, there are those who think it is too obvious, shocking and looking ridiculous or Grand-Guignol. On the right side, there are fervent admirers of the worst atrocities, whether they are seen in films (gore movies), books or pictures and sculptures (the famous public and controversial exhibition of corpses from Professor Gunther Von Hagens). It is still hard to find a real balance between these two points of view; moreover, showing it without any purpose is useless, even if it is not a way of blaming different causes and situations; but it is often a material illustration of mental illness. US writer Wrath James White has perfectly understood this particular case and exposes it thanks to Prey Drive (the sequel to Succulent Prey), a novel which is about to stick even in strong people’s minds.
Joseph Miles is a mysterious prisoner. Locked in jail after killing and eating (and sometimes in reverse order) the bodies of numerous victims, he is paying his sentence in a supermax security cell. But Joseph thinks he is sick, the victim of a genetically contaminating virus he cannot prevent from spreading in his body. To cure himself, he has to know and understand what it is. He has to get out of the place he is locked in. And, above all, he has to fight for his life; against the corrections officers, other prisoners thinking they will become famous while killing him, and a woman who is madly admiring him and will do all she possibly can to be like him. The hardest part is, containing his inner cannibal and sexual predator, his out-of-control creature that flesh and blood excite and awaken every time they can. So, is it a curse, or is he simply insane?
Prey Drive is going further more into repulsion. Joseph Miles’ cruel instincts and actions are described with a precise sense of details and need each reader to be ready for a trip through cruelty, as they are amazingly horrifying and blood-splattering. Nothing is left behind, from vital organs to bowels, from deeply-cut muscles to ripped-off throats, as every word is precisely chosen to inspire a destructive and striking realism. Even eroticism is something brutal, as orgasm happens through all excesses while body fluids melt with hemoglobin to cook a perfect but awful seasoning for the serial killer’s anthropophagous meals (each part of the book thus being introduced by a recipe which main ingredient is easy to find out). But Wrath James White never turns to vulgarity; he is writing about facts while telling us a captivating and annoying story leaving each one of us unable to feel spoiled. One is fascinated by all these primitive explosions of cold and clever angriness, this debauchery of fury making one sick page after page.
But far beyond such an easy though terrible pragmatism, the author, through characters, evokes the most pervert and dark tendencies of the human soul. While describing Cindy Addison’s innocence, Joseph Miles’ monstrosity, Selene’s morbid self-interest and the close and cruel world of the penitentiary, Wrath James White exposes themes that are unpleasant to read about and imagine but, in the same time, a true sense of conviction, terror and fascination. This is why this novel is so impressive; it is not only an exhibition of meat or a butchery stall, it is literally eating at each one of us because confronting us to our blackest thoughts and primal fears. One is not amazed by what is made up; one rejects it first, then enters this vicious and immoral Maelström that is not so far from everyone’s daily life, what can be seen on TV, or people we meet without knowing what is hiding behind the mask. Reading Prey Drive means comprehending to understand. It is a way to see the worse and control it, in ourselves and others. Considering this, fiction is a disturbing but necessary way out to let go off the pain we are eternally confronted to.
Scary, traumatic and as painful as a punch in the face, Prey Drive is also as consuming as exquisite. Fans of mommy porn books like 50 Shades of Grey are definitely far from reality.
Raphaël DUPREZ